Fukushima Daiichi, Zone interdite
Une visite à la centrale de Fuskushima, 3 ans après le drame.
Nous sommes arrivés à Fukushima sous une neige légère. Presque le cliché de l’hiver nucléaire. La neige ne devait pas rester longtemps dans la ville, nous non plus.
Le Professeur K. de l’Université de Fukushima nous attendait au guichet de la gare, une gare étonnamment gaie et décorée. Le Professeur K. nous tend immédiatement une photocopie: la carte des zones evacuees et des zones restreintes. “On va la”.
Nous nous engouffrons dans la voiture aux couleurs de l’Université de Fukushima. Elle nous permettra de pénétrer des zones à accès restreint.
Direction Fukushima Daiichi, la centrale nucléaire accidentée par le tsunami du 11 mars 2011.
Objectif, si possible, comprendre la situation actuelle dans la région.
Nous traversons quelques quartiers de Fukushima City: “on ne peut pas faire de mesures ici, les habitants en ont marre”. Nous nous arrêtons pourtant discrètement entre 2 barres de logements sociaux. Le Professeur K. a amené avec lui un geiger professionnel. Je compare les mesures avec mon petit geiger russe. Sensiblement les mêmes.
Nous prenons la direction de Iitate. “Un des plus beaux villages du Japon”. C’était avant le désastre. La population a disparue, évacuée ailleurs dans la région. Depuis c’est une “ghost town” comme on en a traversée beaucoup dans la journée.
Nous croisons une milice citoyenne constituée de vieillards. Ces milices sillonnent les villages désertés pour éviter les pillards, les animaux sauvages et l’installation de criminels, les 3 fléaux actuels de la régions. Jusqu’à quand, sur une échelle nucléaire, ces vieillards pourront-ils protéger leur pays ?
Le nombre de pillards est en régression en partie grâce aux milices et peut-être a cause des Yakuza. “Les Yakuza sont partout maintenant dans la region”. Ils viennent du Kansai et de Kyushu. En effet, dans un supermarché de Minamisamo, on entendra parler Osaka-ben, le japonais de Osaka.
Les Yakuza ont été amenés par les sociétés de décontamination. Elles florissent dans la région.
Elles proposent “de force” leurs services: passer au Karcher les toitures et retirer les dix premiers centimètres de terre des jardins. C’est le racket de la décontamination.
Quant aux animaux sauvages, ils pullulent. Sangliers, chiens errants, porcs, singes. Nous n’avons vu que des singes cette fois-ci, en bord de route, à moins d’un mètre des voitures. Ils n’ont plus peur des humains qui ne sortent pas de leur véhicule. Il faut rester à grande distance, comme pour les Yakuza.
A Iitate nous découvrons les montagnes de terre contaminée dans leur sac noir. Partout.
Les propriétaires doivent garder leurs déchets nucléaires pendant 30 ans, sur leur propriété, dans des sacs plastiques.
Je ne suis pas sur d’avoir compris le chaos décisionnel qui a aboutit à cette décision.
Nous prenons quelques mesures. Elles oscillent entre 1 et 2 mcSv/h en bord de route, a proximité des sacs de terre contaminée. Pour le geiger c’est un environnement a “Haute Radiation”. La décontamination ne semble pas avoir aucun effet car les mesures sont identiques partout.
A la mairie de Iitate, le compteur Geiger communale a pris place a côté de mignonnes sculptures artisanales.
On imagine les touristes venus de Tokyo dans le Iitate d’avant 2011.
La région est splendide. La neige tombée durant la nuit fond doucement sous le soleil. Les arbres ont des teintes resplendissantes. Dans les fermes, des architectures traditionnelles japonaises. C’est une des plus belles régions que j’ai visité au Japon.
Nous nous remettons en route. Direction Minamisoma, une des villes les plus touchées par le tsunami.
La radioactivité est relativement faible à Minamisoma. Nous sommes dans le vert et seulement 3 fois plus qu’à Tokyo qui reste notre référence avec ses 0,100 mcSv/h.
Il y a le “Marathon de Minamisoma” ce dimanche. On ne s’attendrait pas à faire un marathon ici. La ville est gaie et fraiche. On y vend et on y achète de beaux légumes de la région.
Nous nous éloignons du centre pour nous rapprocher de l’océan.
Le travail de nettoyage a été très efficace. A l’exception de quelques bâtiments détruits, de grands “champs” vides. Anciennes rizières, anciennes fermes. Le Japon du 18ieme siècle devait ressembler à ça.
Nous prenons la direction du sud vers la Centrale. Route 6.
La Route 6 est re-ouverte depuis peu.
Il devient interdit de s’arrêter en bord de route. Aux entrées des “kebi”, des gardiens privés, bloquent les entrées vers les villages.
Les avertissements indiquent de garder une allure régulière.
La radioactivité devient impressionnante. Nous mesurons jusqu’a 9 mcSv/h. Le geiger hurle et indique en rouge un environnement dangereux. Le manuel du geiger indique qu’il faut se retirer sans attendre d’une zone rouge. Dans le contexte c’est hors de question et juste impossible. Le Professeur K. parle de la “nouvelle normalité de Fukushima”.
Impossible de ne pas penser au cas ou il nous arriverait un accident de la route, que nous heurtions un animal errant ou simplement une roue crevée.
Bien sur, la Route 6 est fréquentée. Beaucoup de travailleurs de la centrale, des camions, des pompiers et des policiers.
Tout le monde roule très vite et notre Subaru ne fait pas exception.
Je m’attendais à voir l’armée mais c’est la police qui est présente. “Elle est là pour porter secours, ils sont très sympas” nous rassure-t-on. Ce sont des volontaires venus eux aussi de Osaka ou du reste du Japon. Le taux de suicide est extrêmement élevés dans les rangs de la police de la région nous apprend-t-on.
Nous passons le village de Futaba. La zone interdite. Là, les magasins, patchinkos et restaurants sont restés tels qu’ils étaient le 11 mars. Les produits sont encore en vitrine, quand celles-ci ne se sont pas effondrées.
Nous arrivons à l’entrée de la centrale dont nous apercevons la cheminée et les grues qui s’affairent.
La centrale est un site privé. Pas de photos, pas de mesure au Geiger, pas de GPS. Blackout !
Au sortir de la centrale, nous continuons notre descente vers Fukushima DaiNi, la centrale soeur de Daiichi. Elle aussi victime du tsunami, son système de refroidissement a pu être remis en marche dans les temps.
La région aligne 4 centrales sur la côte. 3 ont été endommagées par le tsunami.
Fukushima a connu des décennies d'ambiance d’euphorie nucléaire. Les villages se disputaient l'installation de nouvelles centrales. De première région énergétique au Japon, elle s’est retrouvée dans le noir après le 11 mars. La gare de Fukushima affiche d'ailleurs encore un “Power City” délavé.
La corruption continue dans la région. Les familles évacuées touchent ¥500,000 par mois d’indemnisation. Elles perdent ces indemnités si les parents retrouvent du travail. Alors, les parents restent sans travailler, et les pachinkos fleurissent a nouveau, grace aux Yakusa. La boucle de la corruption est bouclée.
Si de nombreuses installations solaires ont poussées dans les rizières polluées, donnant une certaine image de modernité, les problèmes de la région sont graves et inédits.
La population a peur de la stigmatisation, si courante au Japon.
Les jeunes filles craignent de ne pas pouvoir se marier à cause de leur origine génétiquement entachée. Beaucoup de familles avec enfants sont parties ailleurs au Japon. Discrètement.
Le Professeur K. qui revient à Tokyo le week-end en voiture, nous raconte comment ses voisins tokyoites, voyant sa voiture immatriculée à Fukushima, lui ont poliment mais fermement demandé de se garer ailleurs.
J’ose franchement la question qui fâche: “pourquoi les gens restent-ils ?”
La réponse n’est pas moins direct: “il y a deux categories de gens: les ignorants (il utilisera le mot anglais de “Fool”), et les autres qui n’ont pas les moyens de partir ailleurs”.
Le fait est que, le geiger en mode silencieux, au bout de quelques minutes, on commence déjà a penser que tout est normal. “Nous sommes arrivés au stade ou nous pouvons plaisanter de la situation entre habitants de Fukushima”. J’ai du mal à le croire.
Fin 2014, l’économie de Fukushima est instable et portée a bout de bras par des subventions de l’Etat, maintenant propriétaire de TEPCO.
Tokyo veut à tout prix éviter que la région ne deviennent un no-man’s land abandonné de tous et ou se développerait un nouveau type de banditisme. Un casse-tête temporel, financier, social quand on regarde la situation à l’échelle du nucléaire.
Pour nous, c’est le retour vers l’Université de Fukushima pour un debriefing au sein du nouveau département FURE (Fukushima Future Center for Regional Revitalization).
L’expérience a été forte.
Il reste un sentiment qui oscille entre un dégoût total et un espoir que quelque chose de nouveau naitra de tout cela.
Ce "nouveau" c’est à nous d’y contribuer et c’était le but de cette première “mission”.