L'avenir de l'éducation, le livre "Résilience et Innovation, Penser/Agir"

L'avenir de l'Education. Un exercice de futurisation dans une oeuvre collective.

L'avenir de l'éducation, le livre "Résilience et Innovation, Penser/Agir"

J'ai eu le plaisir de faire le premier vernissage d'un livre dont je suis le co-auteur, samedi dernier, le 10 octobre 2020.

L'idée du livre est partie d'une discussion avec Xavier Comtesse, fameux chroniqueur genevois, lors de son passage au Demo Day que nous organisions pour InnoPeaks, l'accélérateur de Groupe Mutuel. Après une longue série de livres de prospective, pourquoi ne pas rassembler dans un même ouvrage les vues de spécialistes sur les domaines importants de notre société et en sortir une vue cohérente de l'avenir.

L'idée était lancée.

Initialement, l'ouvrage devait s'intituler "36 vues du futur", en lien avec le fameux livre du peintre japonais Hokusai, "les Trente-six vues du Mont Fuji" et pour faire écho à une "learning expedition" au Japon que nous envisagions ensemble au Japon, avec Xavier.

Que nous envisagions... avant la COVID-19.

Les plans chamboulés par le virus, le titre changea pour "Résilience et Innovation : Penser/Agir". C'est un peu moins magique, à mon avis, mais l'idée de présenter le futur devenait encore plus pertinente et ce que nous imaginions en 2030 devenait presque réalité en 2021.

C'est un ouvrage collectif, co-écrit pas 60 personnes. De mon côté, j'ai proposé à ma collègue et amie Anna Soederlind de travailler sur une vision de l'avenir de l'éducation. Anna a fondé sa startup à l'âge de 18 ans. Sa startup formait, et forme encore, des sportifs, en ligne.

Nous avons rédigé ce texte en Janvier 2020, quelques semaines avant l'arrivée officielle du virus en Europe.

Le vernissage du livre a eu lieu dans 5 librairies Payot suisses en simultané, à Genève, Lausanne, Fribourg, Neuchâtel et Sion ou je me trouvais. Afin de donner une cohérence à ces 5 lancements, nous avons prévu un 'webnissage' avec l'interview de 5 co-auteurs dans chacune des villes. La coordination était assurées par des étudiants de l'EPFL spécialement envoyés dans les villes.

Avec Anna Soederlind lors du vernissage

Voici le texte original. Il a été légèrement retouché par l'éditeur pour donner une cohérence avec le reste de l'ouvrage. Les changements sont mineurs et ne touchent que le style.

Vous pouvez acheter le livre sur ce site mais voici ma partie en version libre (Creative Commons à respecter s'il vous plaît).

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L'Avenir de l'Education

L'AVENIR DE L'EDUCATION

Quels sont les souvenirs de votre premier jour d'école ? Vos parents avaient du préparer vos habits neufs, vos crayons étaient taillés et le cartable sentait encore le magasin.

Vous étiez dans les starting blocks d'une longue ligne droite scolaire, comme moi, comme elle, comme tout vos camarades du même age. Et générations après génération, le rituel restait le même.

Mais dans les dernières années tout ce petit monde bien réglé semble s'être accéléré. Le géant LinkedIn a racheté une plateforme d'éducation en ligne, Lynda.com, pour la somme faramineuse de 1.5 milliards de dollars. Kahn Academy, une startup de seulement 150 employés, forme chaque année 70 millions d'étudiants, en ligne. Les plus belles universités du monde, comme Stanford, offre leurs meilleurs programmes sur internet, gratuitement.

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Pourquoi notre vision du futur de l’éducation est-elle soudainement si chamboulée ?

L'éducation n'a que le choix de répondre aux exigences de la société. C'est son propos. Il flotte dans notre époque cette idée qu’il n’existe plus une seule et unique vérité, dans la vie en général, dans le domaine de l’éducation en particulier. Nous vivons une époque multipolaire et l’ordre établi des universités comme des autres institutions est sérieusement questionné. Il est désormais possible de vivre bien, de devenir respectable, de fonder sans le moindre diplôme.

Le rythme du changement de notre société est frénétique. L’innovation fait rage. Des empires industrielles s'écroulent quand d'autres naissent de leurs cendres. On change d'employeur tous les deux ans, on est employé par plusieurs et il est probable que l'on est bientôt plus d'employeur du tout, au service de celui qui aura besoin ponctuellement de notre savoir faire. Le mot d'ordre, rester pertinent, impose la formation permanente aux dernières technologies. L’idée que tout doit être acquis avant 25 ans fait bien sourire en 2020.

S’engager dans l'aventure d'un master en 5 ans est de plus en plus questionné par une génération qui apprend le chinois sur YouTube, gratuitement, et qui va zapper sur le russe en un click. La technologie, l'abondance du contenu, les faibles couts de sa production sont les plus gros compétiteurs des universités. La difficulté devient le choix.

Les établissements de formation ne peuvent pas suivre et beaucoup forment encore à des métiers menacés par la robotisation. Alors, le besoin de trouver son unicité, sa particularité et sa valeur dans ce monde commence à percer. Inconsciemment, sur cette planète de 7 milliards de personnes chacun commence à chercher ce que les robots n'auront pas, ce qui le fera sortir du lot. Mais on ne devient pas unique en suivant un curriculum unique, bien au contraire.

Nous sommes entre deux monde. Les Coursera, Lynda.com ou KahnAcademy forment digitalement sur des modèles antiques, littéralement. On filme un professeur, on suit un plan de formation, on reçoit un diplôme. Henry Ford y verrait bien les fameux "chevaux qui courent plus vite" qu'on lui répondait quand il interrogeait ses contemporains sur leur attentes. Ces plateformes distribuent et dispensent une formation classique sur de nouveaux canaux mais ne répondent en rien au besoin de nous rendre unique et différencié.

Doit-on rajouter à ce panorama sociétal la liberté nouvellement acquise de pouvoir "construire sa vie" comme bon nous semble, ou bon nous semble, selon nos propres règles. YouTube regorge d'invitation à prendre ses chemins de traverses.

Alors si chacun va la voie qu'il entend, chacun doit recevoir l'éducation dont il a besoin là et maintenant pour son projet personnel. On peut parler d'éducation personnalisée si ce n'est d'éducation de précision, ou l'unité de mesure devient l'individu et son projet de vie.

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Au centre de cet idéal d'une éducation de précision, l'intelligence artificielle et sa capacité à apprendre de nos actions, de notre passé et de celui de millions d'autres.

Il est probable que nous serons accompagnés de notre propre Agent intelligent, un module d'intelligence artificielle qui, comme un ange gardien nous suivra durant toute notre vie et sera garant de la cohérence de notre parcours éducatif, pour un projet de vie unique à chacun.

Cet agent auto-apprenant saura le moindre cours que nous avons suivi, il connaitra nos lectures, il vérifiera nos acquis régulièrement, il saura comment valoriser nos échecs et les leçons que nous aurons "séchées". Il complétera ces cours manqués par des exercices mieux adaptés à notre personnalité ou simplement à notre agenda. En 2019, seuls 15% des élèves terminaient leurs cours en ligne sur des plateforme comme Lynda.com ou Coursera. Et doit-on blamer les élèves indisciplinés ou un format de formation qui ne s’est pas encore trouvé, qui balbutie et qui n’a pas encore toute les ressources techniques, ni peut-être meme la vision de ce futur. En 2040, l’idée meme de terminer un cours sera questionnée tant nous serons dans un flow d’apprentissage permanent et continue.

Nous rirons avec nostalgie en écoutant le discours de Steve Jobs à l’Université de Stanford quand il raconte son parcours de jeunesse chaotique mais qui, ce jour-là, avec les recul des années, lui paraît d'une évidence limpide. Nous nous dirons que les contemporains de Jobs étaient bien pauvres de ne pas pouvoir décider de leur vie et qu’on ne puisse leur proposer la bonne ressource au bon moment.

Quelque soit la forme qu’il prenne, cet agent intelligent ne pourra survivre dans notre quotidien que s'il sait se faire aimer, se montrer bienveillant, complice et amical, ou s'il nous est imposé... Et il pourrait bien l’être, imposé, si ce n’est par un gouvernement, ca sera par un système, par les “forces du marché” comme le sont aujourd'hui LinkedIn ou Xing. Difficile en 2020 de faire carrière sans un profil à jour sur ces sites, difficile en 2050 de prouver notre compétence dans un monde ou tout le monde aura un parcours différent et personnalisé, sans cet agent intelligent qui témoignera de notre histoire.

En contextualisant les difficultés et les échecs, notre agent intelligent pourra offrir à chacun ce qui lui convient le mieux. On peut l'imaginer disposant de l'empathie suffisante pour nous guider avec bienveillance vers ce qui est le mieux pour nous et notre projet de vie. Meme si celui-ci n'est pas clair, et il l'est rarement.

Mon agent intelligent pourra aussi communiquer avec le votre et tous les autres pour comparer mon parcours à d'autres de mon age ou des profils similaires, prendre des conseils, être informé de tendances globales, et éventuellement me proposer de prendre la meilleure décision selon mon potentiel et mon projet.

Notre vie éducative future sera parsemée de « projets » qui s’enchaineront les uns après-les autres et qui nécessiteront des connaissances nouvelles, cohérentes entre chaque projet. On peut imaginer des connaissances pratiques et immédiates associées à des connaissances plus long terme. Connaitre l’histoire de Shanghai et apprendre le mandarin.

Quelle forme prendra cet agent intelligent ? Avant tout, il sera conversationnel et, tout comme un professeur dans un amphi, il devra supporter les interruptions et les questions impromptues, on appelle cela en anglais le « multi-domain task-oriented dialogs » dans le jargon de l’A.I. Aura-t-il de l’humour et de la distance sur les choses ? Il le faudra s’il veut rester dans nos habitudes. Je ne me soucis pas beaucoup de ce sujet. Certaines applications et interfaces donnent deja aujourd’hui un plaisir inspirant et stimulant, elles génèrent de la joie à l’usage et il en sera de meme avec ces conversations. Le métier de designer d’interactions a de beaux jours devant lui.

La forme physique, quand a elle, est peu importante car cette A.I. devra être ambiante, diffusée sur de nombreux appareils et douée du don d’ubiquité pour la collecte des données.

Pour notre formation, il lui faudra choisir ce qui est le plus pertinent pour notre profil cognitif et notre environnement. Ainsi, lors de déplacements (et volontairement je n’utilise pas le concept dépassé de conduire sa voiture), il utilisera peut être un format de type podcast, oral, mais pour avoir plus d’impact, il pourra par exemple décider de nous emmener dans une expérience immersive de réalité virtuelle.

On apprend par l'expérience mais aussi par l'échange. La mise en relation de notre profil avec des paires complémentaires ou similaire sera une fonction importante de cet agent, tout comme l'animation de notre relation. Il n'est pas impossible qu'ici, l'humain reprenne la main, pour coacher ponctuellement des ateliers physiques ou virtuels. Le coach humain travaillera de paire avec cet agent dont la mission sera d'assurer la continuité et le suivi.

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Dans ce monde idéal, il faut déjà s'inquiéter de vrais sujets pédagogiques à venir.

La question de la maitrise d'un domaine complexe, vient sans doute en premier. Est-ce que ce l'éducation personnalisée permettra de faire émerger des "maitres" dans un domaine ou sera limitée à distribuer une connaissance ordinaire et avant tout "expériencielle" ? L'apprenant ne pourra pas sauter dans le monde de la physique quantique sans avoir une maitrise solide des mathématiques et devenir physicien ne peut se résumer à enchainer une suite de projets sur le sujet. La vocation nécessite un chemin qui se construit dès le plus jeune age.

Dans le grand chaos qui se prépare ou chacun aura un parcours éducatif optimisé pour sa vie, comment juger de la valeur de chaque parcours ?

Comment s’assurer que l’éducation reste une chance de s'ouvrir sur des sujets inconnus ? Quelle place laisser au hasard et à l’erreur ?

L’éducation est maintenant une industrie, à inventer, ou questions et challenges s'annoncent à la hauteur de l'enjeu pour nos sociétés.

Ce qui est à peu près certain, c’est que votre petite fille aura un premier jour d’école bien different du vôtre.

Voilà ! Merci pour votre lecture. Dites-moi ce que vous en pensez.

L'invitation au vernissage